Un beau jour de 1995, la
directrice de la communication d’Eurotunnel vient me voir : « Jérôme,
nous avons décidé d’acheter une page de publicité dans les cahiers de
Médiologie. C’est un numéro sur la route. Vous pouvez proposer
quelque chose ? » En bientôt six ans, j’avais déjà écrit vingt ou
trente présentations différentes du Tunnel sous la Manche. Cette fois-ci, c’était pour une publication dirigée par Régis Debray,
philosophe traqueur de paradoxes historiques et ciseleur de formules subtiles.
Il s’agissait d’avoir de la tenue, d’être à la fois dans le sujet et dans le
ton. J’ai repris le visuel explicatif standard d’Eurotunnel et je me suis
amusé à le mettre en perspective.
Cet exercice de style est évidemment
passé inaperçu. Il m’a donné l’occasion d’apprendre un « détail » qui m'a ouvert des horizons.
Au 19e siècle,
les Français ont repris le mot anglais « tunnel » pour
désigner une « galerie souterraine destinée au passage d’une voie de
communication » selon la définition du grand Robert. Voilà un ouvrage
typique de notre civilisation industrielle, où canalisations, routes, chemins
de fer et même accélérateurs de particules doivent traverser des montagnes, ou
contourner toute sorte d’obstacles. Des œuvres d’ingénieurs, de
constructeurs. Des ferments de peurs, de sentiment d’oppression. D’où le sens
figuré « période obscure, pénible » attaché au même mot.
Et pourtant ce sombre tunnel se rattache à des origines bien plus vertes et radieuses. Car ce mot vient du français médiéval "tonnelle", cette « longue voûte en berceaux » qui agrémente tant les plus accueillants de nos jardins.
Sur le moment, cette étymologie inattendue m’a décontenancé. Avec le recul, j'ai fini par me dire : "Nous sommes nombreux, je crois, à nous sentir souvent pris dans un tunnel, à en scruter désespérément le bout. Sommes-nous toujours si sûrs qu’en levant les yeux, nous ne verrions pas frissonner quelque feuillage et dans ses interstices, surgir un coin de ciel bleu, luire un rai de lumière ?"
L'exercice anecdotique m'a subrepticement ouvert le regard. Comme bien d'autres travaux de communication, avant ou après lui. Je n'en suis plus autant surpris mais toujours émerveillé.