J’ai découvert récemment que neuf ans après sa parution,
« Enfants du soleil – histoire de nos origines » de
l’astrophysicien André Brahic restait un des livres préférés de mon père,
esprit et curieux et perfectionniste. En quelques pages, j’ai compris
pourquoi : l’auteur fait partie de la confrérie rare et précieuse des
scientifiques conteurs – conteurs parce que scientifiques, et scientifiques
dans l’art de conter.
Dès le titre de son ouvrage, l’astrophysicien donne une explication imagée des interrogations auxquelles il tente de répondre :
« Tels des enfants qui ne quittent pas les jupes de leur
mère, les planètes virevoltent sans cesse autour du soleil. Sont-elles les
enfants naturels du soleil ? des enfants adoptifs ? ou encore des petites sœurs
? » (p. 8)
Ses tentatives de réponses fileront la même métaphore « Nous
sommes plutôt les enfants des étoiles que du soleil. » (p. 8) et « Nous
baignons dans l’atmosphère étendue du soleil. Nous sommes des enfants du soleil
qui vivons toujours chez nos parents. » (p. 53)
Et l’auteur de nous emmener tranquillement au cœur des
recherches astrophysiques contemporaines en parsemant ses explications
d’analogies. « Il est beaucoup plus facile de comprendre la naissance et
l’enfance d’un homme en observant une population de nombreux individus, même
s’ils sont tous différents, qu’en interrogeant un grand père amnésique. »
nous explique-t-il (p. 172) donc pour comprendre le système solaire, observons
les autres étoiles, une gageure : « Apercevoir des détails sur les
étoiles les plus proches revient à être capable de lire ce qui est écrit sur
une pièce de monnaie à des centaines de kilomètres de distance. » p. 179
Quel intérêt d’étudier les corps les plus modestes du
système solaire ? « Un peu comme des pierres qui seraient restées sur
le chantier de construction d’une maison après les travaux, les astéroïdes et
les comètes observés aujourd’hui nous fournissent des exemplaires de « matériau
de construction » des planètes. » (p. 144). Quant aux météorites, on peut
parler « sondes spatiales du pauvre » (p. 12).
Voici enfin comment André Brahic parle des « chronomètres
planétaires » qui servent à dater les surfaces des planètes et
satellites : « De même que le nombre de pas dans un chemin enneigé nous
informe que la chute de neige est récente ou ancienne, si l’on a une idée de la
fréquentation du chemin, le nombre de cratères dans une région donnée nous
indique l’époque à laquelle cette région a été formée. » (p. 93)
La clarté, l’esprit, l’art de la métaphore d’André Brahic
ont séduit des dizaines de milliers de lecteurs, qui l’ont suivi avec plaisir à
travers les arcanes de la recherche astrophysique contemporaine. Je suis
persuadé que ce livre a familiarisé et sensibilisé davantage de lecteurs que ne
sont parvenus à le faire des milliers d’enseignants en sciences, malgré tous
leurs efforts. Sans doute même a-t-il suscité des vocations, à notre époque où
tant de chercheurs se plaignent d’une désaffection des étudiants les plus brillants
pour les sciences au profit des carrières « dans la finance ».
Les livres comme celui d’André Brahic se démarquent
radicalement des manuels scolaires tels que nous les connaissons. « La métaphore absente : une particularité
des manuels scolaires », c’est justement le titre d’un article paru
1996 (Communication et Langages, n°110, 1996 p.74-94). Sa mention dans la revue
« Sciences humaines » m’avait interpellé. L’auteur, une chercheuse en
sciences de l’information Annette Béguin, avait étudié quelques manuels de
sciences physiques, et de biologie avant d’arriver à ce constat.
Mais pourquoi ? Parce que « ce n’est pas tant
le lecteur du manuel qu’il s’agit de séduire mais l’enseignant qui en est le
prescripteur » : « les manuels sont écrits par des
professeurs pour d’autres professeurs ». Annette Béguin rappelle que
la métaphore pédagogique n’a pas bonne réputation officielle : le philosophe
Bachelard jette le doute sur sa rigueur intellectuelle, les pédagogues
redoutent les confusions, le risque de « privilégier le spectaculaire à
la place de la conceptualisation »… Bref, pour témoigner de l’ « esprit
de sérieux » des manuels, de leur qualité technique, de leur rigueur, mieux vaut en bannir toute
métaphore.
Je trouve ce constat consternant.
Pour moi, c’est comme jeter le bébé avec l’eau du bain. Car
on peut faire certes mauvais usage des métaphores. Comme de tout. Mais qu’elles
soient bien choisies, et leur effet d’éveilleur de conscience, dans le plaisir, sera spectaculaire.
Heureusement, à l'image de tant de grands scientifiques popularisateurs de science, André Brahic a suivi sa sensibilité personnelle plutôt que la tradition scolaire. Malheureusement, je ne vois à ce jour personne suggérer de les prendre en exemple.
Jérôme Spick, mai 2008 (retouché octobre 2009)
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