"Il y a quelques années, j'étudiais le piano au
conservatoire. J'étais, paraît-il, un très bon sujet ; pas une interprète de
génie mais une très bonne pianiste. Et j'avais très envie de travailler avec un
professeur qui était sans conteste le meilleur - le genre d'homme qui vous
prend un étudiant normal et en fait un pianiste de tout premier ordre. Il se
trouve qu'un jour, j'ai fini par avoir l'occasion de travailler avec le grand maître.
Extrait de C. J. Beck, Soyez Zen, Press Pocket
Passer trois mois sur
trois mesures de musique, comme cela doit être long, et dur pour qui croyait
déjà savoir bien jouer ! Quel courage chez cette jeune fille pour
s’acharner ainsi et surmonter la déception, l’humiliation, le sentiment
d’impuissance... et quelle énergie, quelle foi chez son professeur ! Mais
finalement, trois mois, je trouve que c’est court pour apprendre à véritablement
écouter. Quand j’ai enseigné les « sciences économiques », j’ai
découvert que la quasi totalité de mes élèves de terminale n’avaient sans doute
jamais écrit une phrase en « bon » français, clair et précis. Et
j’étais chargé de leur
« apprendre » à écrire des dissertations. Je me souviens que je me
suis alors acharné à accompagner chaque appréciation en marge d’une proposition
de tournure, de formulation, au crayon. Quel prof bizarre, à couvrir les copies
d’annotations ! Je ne crois pas que mon zèle juvénile ait servi à grand
chose, à mes élèves en tout cas : pour ma part, c’est à ce moment-à
que j’ai commencé à apprendre à
vraiment écrire, c’est-à-dire à travailler chaque phrase, chaque mot… C’est
aussi de ces années-là que me reste le souvenir d’une phrase que j’avais
trouvée d’une justesse impitoyable, dans l’introduction d’un manuel sur le
commentaire d’arrêt : « Les
jeunes gens qui sortent du baccalauréat sont généralement lestés de beaucoup de
connaissances, mais il leur reste trois choses à apprendre : lire, écrire,
parler. » Depuis lors, il m’arrive de rêver à un enseignement où le
premier objectif en français serait d’écrire un paragraphe, allez, une carte
postale, dans une langue simple et précise… qui donne plaisir au destinataire.
Et je trouve attristant qu’une idée si simple puisse être rangée parmi les
utopies.
L'encyclopedie Wikipedia contient un court article sur Charlotte Joko Beck.
*publié en anglais en 1989 sous le titre
« Everyday Zen », publié en français à Press Pocket mais épuisé et
non réédité en français à ce jour
**C’était une création de Gérard Gallego à la Maison
d’arrêt de Fresnes en 1998, dans le cadre de l’association Le Théâtre de
l’Imprévu. Des témoignages sur ce type d’action peuvent être consultés sur les
sites www.gerardgallego.org et www.theatreimprevu.org
Transposé de façon très prosaïque : le boulot des autres paraît toujours simple, particulièrement quand il est très bien fait, et surtout quand on n'y connaît rien.
Or, quelqu'un qui arrive à un résultat fluide, quel que soit son travail, a forcément un arrière-plan d'apprentissage et de compétences conséquent.
Ce texte de Jérôme m'évoque l'humilité : dans son propre travail et devant celui des autres.
Et je repense aux moines Tibétains ainsi qu'à la culture navajo (lire les livres de Tony Hillerman) pour lesquels chaque geste et chaque moment trouvent leurs justes places spirituelles.
Bon, plus facile à dire qu'à faire, mais ça peut être un objectif...
J'ai aussi un exemple qui va dans le sens de ce qu'écrit Jérôme : j'ai été formatrice, notamment pour des chômeurs. Je devais les faire bouger très vite, on avait peu de temps pour obtenir des résultats qui leur rendent service. J'étais très exigeante, de toute façon, mais d'autant plus qu'on avait peu de temps et que je devais trouver des techniques qui les déstabilisent pour les faire retomber sur le chemin qui les ferait avancer.
Constat : chaque session de formation suivait le même rythme, à savoir, doute par rapport aux objectifs fixés, découragement car trop de chemin à parcourir et pas les compétences nécessaires, détestation de la formatrice (moi) qui les bousculait, les dérangeait, ne les lâchait pas, intense satisfaction de sentir qu'on progresse, reconnaissance éperdue (et totalement démesurée) vis-à-vis de la formatrice qui leur avait permis de se prouver qu'ils avaient de quoi y arriver.
Pour moi, la clef est que je les croyais capables d'atteindre les objectifs et que je ne craignais pas d'être détestée pour mon exigence, affichée et assumée.
Rédigé par : Dom | 23 août 2007 à 13:19