Nous sommes au Burkina Faso, en pleine zone sahélienne –
vers le Nord, de l’autre côté de la frontière malienne, Tombouctou n’est qu’à
peut-être 300 kilomètres. Ouahigouya est jumelée à Chambéry, leurs actions de coopération
sont présentées sur internet (www.chambery-ouahigouya.com).
En janvier 2005, sous l’intitulé « Ecole primaire Ouahigouya », sur le site
de la ville française, j’avais remarqué la photo suivante, sans doute prise par un
visiteur de passage :
Le cliché est sombre, sans artifice. La classe est
nombreuse - derrière le premier rang, on devine une vingtaine de têtes.
Mais je ne vois que les quatre jeunes filles de devant, surplombant
leurs cahiers, papiers, équerres négligemment étalés sur une table rustique, comme
les cartes et compas sur les tableaux en pied de ces glorieux gentlemen
explorateurs du 18e siècle.
Serrées sur leur banc, les quatre jeunes filles n’ont pas
même la place d’aligner les épaules. Pourtant la pose de chacune me semble
aussi spontanée, sa présence aussi pleine que si elle posait seule.
Si loin de l’éclat et de la joyeuse élégance des boubous,
leurs vêtements « à l’occidentale » m’attristent. Mais leur
spontanéité, l’expressivité de leurs regards me redonnent le sourire.
Dans son anorak sombre, l’une semble tristement rêveuse,
doucement résignée. Je trouve en revanche poignant le regard fixe, à moitié
absent, l’expression figée de sa voisine,. Bras nu posé sur la table, crayon à
la main, la troisième jeune fille semble s’amuser à se prêter un instant, d’un
air discrètement charmeur, au jeu du photographe. La quatrième, bras croisés,
semble elle défier le visiteur d’un regard perçant et moqueur.
Quatre postures. Quatre manières de ne pas « jouer à
l’élève », d’exprimer une attitude de vie.
S’occuper de ses frères ou sœurs, tâches ménagères, récits
des aînés, jeux d’enfance, difficultés matérielles, vie communautaire, soucis
des adultes… Je ne saurai jamais quelle place ils ont pris pour chacune
d’elles. Mais je suis sûr que pour chacune d’elles cette salle de classe est un
hors-monde. Un lieu à la fois préservé et étriqué, détaché de leur monde et
porteur de « peut-être », sinon d’espoirs.
Non, je n’arrive pas à voir en ces jeunes filles des élèves d’école
primaire. Je les sens là pour apprendre, mais mieux préparées aux savoirs de vie.
Les écoliers occidentaux se montrent souvent peu enthousiastes à « devoir en passer par là », car « c’est la
vie », ils n’ont « pas le choix ». Ces jeunes filles me semblent avoir davantage choisi d'être là, et d’espérer sans trop y croire que ce
lieu « hors vie » leur donnera d’autres chances.
Je crains que l'école ne déçoive leurs espérances – j'imagine que peu accéderont à une autre vie grâce à elle, et
moins encore à plus d'épanouissement.
Je tenais à faire revenir ce témoignage à la lumière - la sélection de photos où je l'avais trouvé a été retirée du site de la mairie
de Chambéry.
Jérôme Spick, mai 2008
Commentaires