La petite
Carole jouait aux billes avec les garçons,
avec plaisir et passion.
Elle y
avait développé une grande adresse.
Et de l’acharnement à gagner,
alors
qu’elle n’aimait pas la compétition.
Les
billes lui rapportaient d’autres billes,
des
agates, des calots.
Et ces
petits soldats qu’aiment tant les garçons.
Même des
chevaliers,
avec
heaume, bouclier et épée détachables.
Quel jeu
amusant :
Gagner
billes et soldats,
Faire du
troc avec ses camarades.
Eveiller
chez ce garçon d’une autre école,
l’envie
de lui racheter ses petits chevaliers !
Voilà que
la petite championne se retrouve
avec un
peu d’argent
dans les
poches.
Sa
famille vit très à l’aise
Dans une
grande maison,
Et sa
mère au foyer.
Qu’est-ce
qui pourrait bien lui manquer ?
Mais que
pourrait-elle désirer d'autre ?
La petite
Carole n'hésite pas.
Un moment
où sa mère n’est pas là,
où
personne ne la voit,
elle
ouvre le porte-monnaie du ménage.
Elle y
glisse secrètement ses petits gains
et repart
contente, l’air de rien.
Personne
ne s’en est jamais aperçu.
La petite
Carole sait être discrète.
Trente
ans passeront
avant que
Carole soit toute étonnée
de se
rappeler cette histoire
et de me la
raconter.
Ce récit m’a immédiatement impressionné par sa légèreté poignante, sa beauté énigmatique. Je m’imagine tout petit courant raconter mes
succès d’enfant à des parents amusés... J’imagine aussi ma fierté, et mon
plaisir à posséder mon petit trésor, à le garder ou à choisir à quoi le dépenser.
Carole était loin de tout cela. M'apparaît soudain une petite fille
pleine de vie et d’astuce hors du regard de ses parents mais à la maison…
chut ! surtout ne pas se faire remarquer, ne pas encombrer ses parents de
ses joies et peines d’enfant. Mieux : se donner le sentiment réconfortant de contribuer
au ménage. Et surtout, que cela ne se voie pas, ce serait reçu comme un reproche. Enfin, de quoi pourrait se plaindre Carole ? Elle ne
manque vraiment de rien, cet argent ne pourrait lui servir à rien. Finalement, le jardin
secret de Carole, c’est sans doute d’avoir perçu ce qu’on souhaite d'elle à la
maison : qu'elle soit la plus légère, la plus discrète, la plus transparente possible. Qu'elle fasse oublier sa vie d'enfant, sa vie tout court.
Trente ans plus tard, Carole devenue grande se tient soigneusement à l’écart des ancrages familiaux et sociaux. Sans y avoir cru, elle a réussi
à faire d’une passion personnelle un métier, sans conviction
qu’il serve à grand chose. Mais voilà, elle a fait
son chemin, sans pouvoir le regarder tout à fait en face.
Il a fallu beaucoup de temps à Carole pour oser se dire que
son enfance n’était pas ce que ses parents voulaient croire et voulaient qu’elle
croie. Mais le mur a fini par se craqueler, la vie s’est insinuée au travers. De la
mauvaise herbe, diraient certains. Des plantes bien vivantes qui ont donné des fleurs
discrètes, si belles à mes yeux... comme ce récit d'enfance.
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