« Les vivants, ceux qui se croient vivants, ils sont
très très très durs.
« Ils vous demandent des raisons d’être,
ils vous demandent de vous justifier,
ils vous demandent si vous avez un travail,
ils vous demandent d’avoir une bonne apparence,
ils vous demandent d’aller à leurs soirées,
ils vous demandent des choses comme ça, et c’est très dur pour quelqu’un qui n’est sensible qu’à la vérité des gens et à la vérité du lien à chaque fois. »
« Il faut absolument distinguer
le monde et la vie.
Le monde est décevant, et souvent âpre et refusant et lourd.
La vie ne peut pas décevoir, elle est parfaite, elle est parfaite. »
« Vous croyez faire des
choix dans cette vie alors que vous êtes un peu poussé dans le dos par les
événements, par la main du vent,
et puis vous vous retrouvez dans un coin comme un animal qui a été mené dans un
angle, dans un coin du terrier
et vous entendez tous ces chasseurs qui sont dehors et on essaye de vous
enfumer,
ça se passe comme ça la vie.
Mais le désir du renard, le désir de l’enfant, il reste toujours très très
simple. »
« J’ai de l’empathie pour
le malheur de cette vie-là et pour la simplicité du cœur d’Emilie Dickinson tel
que je l’entends battre quand je la lis et que personne peut-être n’y ait
répondu comme il le fallait.
Mais qui nous répond ? qui nous répond vraiment ? »
« Aimer, ce n’est pas
arrêter, aimer ce n’est pas mettre la main sur l’épaule comme le gendarme va
mettre la main sur l’épaule du voleur.
Aimer la vie, c’est peut-être accepter sa fragilité, accepter son périssable,
accepter qu’elle va à un moment qui je crois ne sera qu’un moment, passer par
la porte d’ombre. »
« Notre nourriture, elle n’est faite que de quotidien,
moi je ne crois qu’à ça. »
« Le langage est une
manière maternelle de veiller sur le presque rien de la vie. Parce que c’est
juste un filet de souffle qui me sert à vous parler et en même temps qui me
sert à vivre.
Ce n’est pas plus que ça. »
« Le vrai travail que
chacun doit accomplir par rapport à ses autres travaux : prendre soin du
presque rien de la vie.
Pas du rien, parce que nous ne sommes pas des créateurs, ce n’est que Dieu qui
fait du rien quelque chose, nous, nous recevons juste un tout petit filet
d’air, à nous de lui garder sa fraîcheur, de lui garder toutes ses chances de
devenir et de se poursuivre. »
« La vérité
n’est jamais du côté d’une institution quelle qu’elle soit. Jamais, jamais,
jamais, elle n’est jamais du côté des tombeaux. Elle n’est jamais du côté du marbre,
du pesant, jamais. »
« 2000 ans d’église m’ont mis un livre entre les
mains, m’ont mis les Evangiles entre les mains.
On pourrait faire le reproche aux gens d’église d’avoir laissé des traces de
doigts sur ce livre
avec des commentaires que je pense inutiles.
Mais ils ont fait l’essentiel, ils sont transmis ce livre.
C’est ce livre, et plus exactement c’est la parole qu’on réentend chaque fois
qu’on l’ouvre
qui est pour moi le signe même de l’esprit. »
« L’esprit, c’est
couper court,
c’est prendre des chemins de traverse,
c’est réinventer tout à chaque fois,
c’est rouvrir le chemin entre soi et l’autre.
Sans arrêt, sans arrêt, sans arrêt. »
Ainsi parlait Christian Bobin, écrivain, dimanche 25 novembre 2007, dans l’émission For intérieur de France culture. Il était venu parler de son livre La dame blanche sur l’écrivaine américaine du 19e siècle,
recluse volontaire Emily Dickinson.
Ces paroles transcrites me saisissent par leur simplicité
radicale, leur incandescence, leur limpidité vertigineuse.
Buffon disait que ceux qui écrivent comme ils parlent, même
quand ils parlent bien, écrivent mal.
Pour ma part, je rêverais d’écrire comme parle Christian
Bobin.
Jérôme Spick, juillet 2009