« Tout de même, les pays riches devraient aider un peu plus
les pays pauvres !! »
« Mais justement, ils leur donnent des milliards !! »
« Ah oui ?! Et ces milliards, ils passent où ?? »
Une banale conversation de pause café sur... l’ «
aide publique au développement » - « APD » dirait un spécialiste ! Un sujet de débats passionnés depuis un bon demi-siècle, et « plus actuel que jamais »,
comme on dirait aux « infos », en ces temps de renchérissement mondial de l'alimentation.
Certes, l'aide publique au développement, ce sont les dons et des prêts à conditions
spécialement avantageuses que les Etats, associations, entreprises, etc. du Nord accordent à des Etats, associations, entreprises, etc. du « Sud ». Oui… et quoi d’autre si l’on veut en avoir une idée un peu «
sérieuse » ?
Justement, Stéphane Madaule, professionnel qui travaille
dans le domaine depuis plusieurs décennies vient de paraître « L’aide publique
au développement – l’abécédaire de la réforme ».
Tiens, voilà un expert qui préfère expliquer tranquillement sa vision, ses
interrogations, alimenter le débat plutôt qu’asséner des certitudes. Qui ne se contente pas de discuter et critiquer mais détaille
des propositions audacieuses mais mesurées ! Ce n'est pas si fréquent, je crois. J’ai pioché dans son ouvrage quelques réponses à
six questions.
Que met-on au juste sous l’étiquette "aide publique au
développement" ?
Très officiellement, c’est un… fourre-tout. On déclare non
seulement les aides aux projets, les soutiens budgétaires, mais aussi « les
annulations de dettes commerciales, les frais de scolarité des étudiants
hébergés chez le donateur, les frais liés à l’accueil des réfugiés, les frais
administratifs de la gestion de l’aide. » Ces dernières formes « représentent
pour certains donateurs jusqu’à 40% de leur effort déclaré (alors qu’elles) ne
sont pas décaissées sur le terrain » (p.23)
L’aide publique au développement, quelle ampleur ?
Stéphane Madaule parle d’ « un transfert modeste de plus de
100 milliards de dollars par an, de moitié inférieur aux engagements officiels
des pays riches (le fameux 0,7% du revenu national brut) ». (p.14)
L’aide correspond en fait à :
Moins de 1% pour l’ensemble des pays en développement
Moins de 0,5% du Revenu National Brut des pays à revenu
intermédiaire
2 à 3% ensemble Afrique subsaharienne
10 à 12% pour les 20 pays d’Afrique subsaharienne les plus
dépendants de l’APD (p. 119)
L’aide vers les PMA (Pays les Moins Avancés) n’atteint pas
l’objectif affiché 0,15% du Revenu National Brut des pays de l’OCDE mais 0,063%
(p. 105)
Qu’aide-t-on au juste ?
Depuis 1991, seuls sont admis les projets dans un univers
non concurrentiel . (p.68)
Par conséquent la plus grande partie de l’aide ne soutient
pas directement l’activité de production mais son « environnement ». Alors
souvent, la majorité de l’aide n’est pas décaissée sur le terrain…
Au total, on aide :
- surtout les infrastructures, la santé, l’éducation… bref
« l’environnement » de la production (p.14-15) infrastructures sociales et
administratives 33,4% en hausse de 7 points de 1986-87 à 2004-05 (p. 68)
- « très peu et de moins en moins le secteur productif »
(5,2%), avec 3,4% pour l’agriculture en 2004-05 (contre 11,5% 1986-85) et 2,3% pour les industries et
autres secteurs productifs (contre 5,9 en 1986-87) (p.73)
- parmi la faible part de l’agriculture le plus souvent
des secteurs d’exportation (matières premières, produits agricoles exportés)
plutôt que l’agriculture vivrière. » (p. 28)
Une aide... pour quels pays ?
Seulement 55% de l’APD est orientée vers les pays les plus
pauvres. (p.14)
35% est destinée aux 50 Pays les Moins Avancés (PMA)
20% aux autres pays à faible revenu
41% aux pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure
4% aux pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure.
« Parmi les 10 pays les plus aidés par la France (Nigeria,
Congo Brazzaville, Irak, Algérie, Maroc, Tunisie, Sénégal, Chine, Turquie,
Vietnam) 1 seul appartient aux PMA » (p. 115)
Illustration tirée de Wikipedia en anglais. Bleu : revenu élevé ; vert : revenu moyen élevé ; violet : revenu intermédiaire faible ; rouge : faibles revenus
Les conditions et contreparties de l’aide sont-elles acceptables ?
Depuis le début des années 1980, l’aide publique au
développement vise tout d’abord à faire adopter par les pays en développement
un modèle économique de type libéral ; le secteur privé est perçu comme le
seul moteur possible de l’activité économique » ; le jeu de la concurrence
libre à l’intérieur et dans les échanges extérieurs est présenté comme le
meilleur instrument de progrès économique. Par conséquent, ’Aide Publique au
Développement donne aux activités de marché une importance démesurée, dans
l’incapacité de proposer un modèle de développement durable .
A partir de la fin des années 1980 la Banque mondiale
et le FMI imposent 10 points incontournables pour bénéficier d’un financement
de « programme d’ajustement structurel » en particulier discipline budgétaire, libéralisation
financière, libéralisation des échanges, privatisation des entreprises
publiques, dérégulation des marchés... Depuis 1993, la France s’y est ralliée
implicitement en conditionnant tout soutien budgétaire à un accord avec le FMI.
(p.60)
Cette politique de conditionnalité
forte, d'ingérence croissante est en contradiction avec 1) les principes de
souveraineté de la Charte des Nations Unies 2) les principes d’efficacité de
l’aide qui demandent à ce que les pays eux-mêmes définissent leur politique et
leur gouvernance (…) 4) notre discours sur la diversité des cheminements
possibles. De plus, cette ingérence fait apparaître les bailleurs de fonds comme les
cogestionnaires des pays aidés (p. 86)
... avec quels résultats ?
L’efficacité et l’impact de l’aide sont très difficiles à
approcher étant donné son hétérogénéité. (p. 125)
Mais l'aide vante un modèle d’ouverture sur le marché mondial qui
ne produit que peu d’effets chez les pays les moins avancés. (p.14)
La liste des « pays les moins avancés » (PMA) est passée en
30 ans de 25 à 50 pays, avec une seule sortie du groupe, 35 de ces 50 PMA se
trouvent en Afrique. (p.17)
Bref, depuis près de 60 ans, à peu près aucun pays pauvre n’est réellement sorti du sous-développement selon la voie libérale préconisée. (p.67)
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