En juin 2007, Kolade Koufeidji. étudiant en management des
organisations, me donne à lire la transcription de son entretien avec Stéphane
Girard, directeur de la Maison de l’Entreprise et de l’Emploi
d’Aulnay-Villepinte. Je trouve son contenu si intéressant que je propose à la
M2E d’en tirer un article sur le thème « Accueillir tout le monde dans des
conditions qui engagent et qui valorisent ».
Question : A qui s’adresse la Maison de l’Entreprise et de
l’Emploi d’Aulnay ?
Stéphane Girard : Dans les quartiers qu’on considère comme
difficiles, les entreprises ont perdu confiance envers les habitants. De leur
côté, ceux-ci se considèrent caricaturés comme des voyous ou des gens à
casquette, ils se disent que l’entreprise « ça n’est pas fait pour eux ». Notre
M2E s’est implantée justement au cœur d’un « quartier sensible » à
Aulnay-sous-Bois, et dans de beaux locaux, on nous le dit sans arrêt. En fait,
nos locaux ressemblent tout simplement à des bureaux d’affaires comme on les
trouve n’importe où en France. Et on y trouve des associations, des services
publics, des organismes de formation, des entreprises.
Notre M2E s’engage à accueillir tout le monde. Par exemple,
M2E emploi a le statut de mission locale mais elle reçoit même les plus de 26
ans . Beaucoup de gens sont surpris : « Mais les textes… ? » J’ai vérifié : les
textes disent que les missions locales sont faites pour accompagner notamment
les jeunes de moins de 26 ans. « Notamment », ça ne veut pas dire «
exclusivement », n’est-ce pas ? Donc nous accueillons tout le monde. En fait,
notre unique point d’entrée c’est de poser la question : « Pourquoi êtes-vous
là ? Qu’est-ce que vous voulez ? Quel est votre besoin ? » « Moi, je veux
trouver du travail ! ». « Ok. Allez-y ! » Et on s’occupe de vous. C’est-à-dire
qu’à M2E emploi, on s’occupe de faire que vous puissiez être le plus rapidement
possible dans les meilleures conditions possibles pour trouver du boulot.
Question : Comment voyez-vous votre rôle pour aider les
habitants à trouver du travail ?
Rien ici n’est fait sans engagement et d’abord notre
engagement à nous. Nous sommes 65 collaborateurs sur 5 sites dont je veille à
ce que le niveau d’engagement soit permanent, fort, de manière à répondre aux
personnes qui nous sollicitent. Et notre premier engagement c’est d’accueillir
tout le monde, de répondre à leurs questions, et d’essayer d’y répondre
rapidement. Car vous savez aussi bien que moi qu’il arrive souvent d’écrire, de
téléphoner, de poser des questions auxquelles vous n’obtenez jamais de réponses.
Ni oui, ni non : rien du tout ! Pas de nouvelles… Et à un moment on abandonne.
La réactivité, c’est très concret, la cause que nous servons c’est de permettre
à quelqu’un qui veut déposer son CV de l’envoyer dans le quart d’heure qui
suit.
Mais attention, notre engagement, c’est de répondre à des
personnes qui elles-mêmes s’engagent. Nous ne sommes pas le self-service de
l’emploi car nous ne sommes pas magiciens. Nous sommes incapables à quelqu’un
qui se présente à l’accueil « Bonjour ! Je veux du boulot ! » de le lui donner
comme ça, dans la poche, et il repart. De plus, nous ne voulons surtout pas
être ce type de service. Jamais vous ne nous entendrez parler ici, vous ne
lirez sur nos documents la terminologie « demandeurs d’emplois », Nous nous occupons
de chercheurs d’emploi. Ce n’est pas juste une subtilité sémantique, cela
traduit bien l’état d’esprit dans lequel nous accueillons les gens. Il ne
s’agit pas pour nous de faire croire aux personnes que juste en demandant
quelque chose on l’obtient, et encore moins un emploi.
Il est essentiel de faire comprendre aux publics que quels
que soient leur bagage, leur niveau de qualification, bien entendu leur couleur
de peau, leur origine, leur culte, on s’en moque complètement. Je ne vous dis
pas que ces difficultés n’existent pas par ailleurs, mais tout le monde peut
effectivement avoir l’ambition de trouver du boulot. Même tout le monde peut
avoir l’ambition de créer son propre emploi en créant son entreprise. C’est
notre pratique à nous.
Mais on est là aussi pour dissuader les gens, pour leur
dire la vérité…
« - Vous voulez créer une boîte mais en fait ça n’est pas
votre projet... »
« - Non, mais comme je ne trouve pas de boulot, je me suis
dit que… »
« - Oui, mais attendez : non seulement vous allez rester
sans activité mais en plus vous allez vendre votre maison, vous allez perdre
votre femme, etc. Relancez votre recherche d’emploi, il y a peut-être des
opportunités ici. »
A l’inverse, il y a des gens qui de chercheurs d’emploi
peuvent passer dans une dynamique de création.
Question : Et… vous arrivez vraiment à aider ceux qui
s’adressent à vous ?
En tout, la M2E reçoit chaque année entre 25 et 30 000
visiteurs. En fonction des mois, des vacances, etc. on a un flux moyen de 2 500
personnes. Chaque année, 2 500 personnes en recherche d’emploi viennent
s’inscrire chez nous. Et chaque année, 2 200 personnes sortent de nos effectifs
soit parce qu’ils ont trouvé du boulot, soit parce qu’ils ont créé une boîte.
Quand même, les flux démontrent qu’il y a une véritable crédibilité… surtout si
les personnes reviennent.
Pendant les « émeutes » de 2005, à dix mètres de la M2E, une concession de 13.000 mètres carrés a brûlé. Pas nous. Depuis 2001 nous avons accueilli 30.000 personnes, mais vous ne voyez pas un tag, pas un carreau cassé, pas un papier par terre… Je viens en costume cravate, j’ai plutôt une tête de premier de la classe et je suis complètement à l’aise ici avec l’ensemble des publics. Pour moi, cela traduit bien que la M2E n’a pas de complexes à être là où elle est et à faire ce qu’elle fait. Je crois que ça démontre aussi qu’elle sait répondre aux besoins de ces publics et en l’occurrence à les aider à trouver leur emploi.
Un des témoignages les plus convaincants que j'avais lus. En tirer un
article s'imposait d'autant plus que le site internet de la M2E était vide de toute présentation vivante. Stéphane Girard s'est déclaré
intéressé, en signalant que leur politique de communication était « en train de se
(re)structurer avec l’aide de l’agence Publicis ». Il reprendrait contact
quand le sujet aura été « dégrossi ».
Six mois plus tard, en mai 2008, toujours pas de nouvelles ;
le site internet de la M2E (www.m2e-93.com) est toujours aussi vide de témoignages. Que s’est-il passé ? Tout simplement qu’au
lendemain des élections municipales de mars, Stéphane Girard a démissionné pour
devenir… directeur du Centre commercial Les Trois Fontaines à Cergy. Pour
« changer d’horizon » déclare-t-il.
Qu’après avoir passé six ans à créer et développer cette Maison de l’Entreprise
et de l’Emploi, Stéphane Girard en vienne à prendre la direction d’un Centre
commercial en dit long à mes yeux sur le manque de reconnaissance des
« entrepreneurs sociaux » les plus dynamiques. Ces praticiens hors normes agissent , savent en parler mais ne
savent pas se faire reconnaître. Car justement faire
reconnaître leur savoir-faire, le diffuser et s’imposer face à l’opinion, aux
experts et aux universitaires, n'est pas leur métier, ni leur fort, d'autant plus qu'ils n'y pensent même pas.
Je crois que nous y perdons tous beaucoup.
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