Je m’installe de bon matin à une des tables grises imitation marbre de ce
petit restaurant d'hôtel que rafraîchissent les coussins colorés accrochés aux sièges,
la vigne vierge de plastique qui orne deux piliers en bois et un oiseau
tropical en cage.
D’un pas machinal, légèrement traînant, un vieil homme approche, chéchia
et vêtement blanc terne, sandales usées, teint mat, traits tombants. Sa démarche est
plus paisible que lasse, posée que lente.
Immédiatement, je me sens en présence d’une figure de
l’Egypte immémoriale.
Le serviteur chargé d’ans mais sans âge. Actif sans
agitation, attentif sans empressement, poli sans obséquiosité, discret
sans effacement, tranquille sans nonchalance, résigné sans tristesse.
Légèrement penché sur moi, son visage marqué esquisse un
sourire de sincère courtoisie :
« Coffee ? Tea ? »
« Tea. »
« With milk ? » Le sourire se teinte de
connivence.
Souriant à mon tour, j’acquiesce en hochant la tête. Bien
supposé, je ne changerai pas de choix.
Il repart, me fascinant à nouveau par l’apaisante
simplicité de ses gestes. Comme quand il viendra servir, puis desservir. Une
discrétion détachée, imperceptible.
Je regarde ses pas, ses gestes, non comme une danse, un
ballet, plutôt comme je le ferais d’un feu de cheminée toujours changeant, crépitant
de temps à autre, sans agitation, sans théâtralité aucune.
Le précepte zen « Ne pas laisser de trace ! » me
vient à l’esprit. Je commence peut-être à mieux le comprendre.
Là où je vis, en France, derrière les infinies variations
des visages et attitudes, je crois sentir des traces de colère enfouie.
Placides ou réactifs, aux voix calmes ou criardes, les autres personnels de ce
restaurant d’hôtel me semblent du même univers.
Ce vieux serveur me fait goûter à un ailleurs déconcertant
et rassurant à la fois. Je le vois discuter avec ses collègues, je l’imagine
regarder la télévision, écouter un récit, raconter des histoires à ses
petits-enfants, sans quête d’une autre vie que dans ce restaurant d’hôtel. Sans
élans mais sans désespoir. Vivant son quotidien, n’en attendant pas trop, et se
tournant sans doute vers le rêve, fidèle à une tradition immémorale.
Je crois sentir en lui une douce tristesse, une désespérance paisible. Loin de notre foi dans le progrès, de notre exigence, de notre impatience. Une autre manière que la nôtre de vivre, mais pas tout à fait.
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